Quand le climat fait les civilisations.

A plusieurs reprises, au cours de ces 20 dernières années, je vous ai parlé de climat, non pas parce que le sujet est tristement à la mode, mais parce que de nombreuses découvertes ont modifié notre vision du déroulement de la préhistoire.

Nous avons de plus en plus conscience que notre planète est soumise aux aléas des phénomènes astronomiques et géologiques qui modifient en permanence son climat et le sort des espèces vivantes qui doivent à chaque instant trouver les conditions les plus compatibles à leurs besoins.

L’espèce humaine ne fait pas exception et son histoire va être une longue pérégrination sur une planète toujours en changement.

On ne peut plus évoquer la pré-histoire, sans aborder la pré-géographie ! Les deux sont inséparables et nos ancêtres devaient bien se débrouiller pour vivre au milieu de ce double concept et je crains que l’aventure ne soit pas terminée.

Les primates apparaissent il y 67 millions d’années (Fig.1).

Ce sont des mammifères originaux avec des mamelles pectorales, des ongles, des yeux dirigés vers l’avant de la face, un pouce opposable, deux incisives … Cette morphologie leur confère une incroyable agilité leur permettant une vie arboricole dans les forêts africaines chaudes et humides, où la nourriture est abondante. Ils sont végétariens, fructivores, mais ne dédaignent pas la viande quand l’occasion se présente.

Ils se diversifient rapidement pour donner naissance vers 20 millions d’années aux grands singes proches des humains que l’on voit se répandre dans les zones tropicales d’Afrique (gorilles, chimpanzés, bonobos) et d’Asie (gibbons, orangs-outans).

Remarquons que l’on ne trouve pas ces grands singes sans queue sur le continent américain car la zone tropicale ne présente aucune continuité d’un continent à l’autre et qu’ils ne pouvaient pas remonter vers les zones arctiques, trop froides et donc invivables pour ces animaux…

C’est dans l’est africain que l’on voit l’apparition des premiers homininés dont les australopithèques et bien d’autres espèces vers 3 Ma.

Il y a 1 million d’années Homo ergaster, (le grand père putatif d’erectus) a quitté l’Afrique pour découvrir l’Asie puis l’Europe (fig.2). Ce n’est pas anodin pour un grand singe habitué au climat tropical chaud et humide. Cela va nécessiter d’affronter un climat plus froid, moins boisé où il va falloir se déplacer à la recherche de végétaux et de proies. L’homme est un bipède, bon marcheur qui, pour se nourrir dans un climat hostile, se spécialise et va devenir chasseur-cueilleur.

Il est équipé d’un gros cerveau qui lui permet d’avoir un langage élaboré, de fabriquer des outils et des armes, de se façonner des vêtements et d’aménager des habitations.

Il va s’établir dans ces immenses espaces, modifiant ses habitudes et donnant naissance à de nouvelles espèces humaines (Denisova, Florès, Luzon et d’autres en Asie, Néandertal en Europe). Il va connaître au cours de cette aventure de nombreuses variations climatiques, traverser deux périodes glaciaires (Riss et Würm) où les moyennes seront inférieures à 5°C et ne connaître une période interglaciaire chaude (température moyenne de 19°), que vers -120 000 ans ! (Fig.3). (Il faudra attendre la période historique actuelle pour connaître un réchauffement qui devient problématique de nos jours, mais dont je ne parlerai pas cette fois).Homosapiens, il y a environ 60 000 ans va renouveler le même exploit, quitter l’Afrique à son tour, et se rendre maître de l’Eurasie. Arrivé à l’extrémité de la Sibérie, il osera franchir les obstacles maritimes, gagner l’Australie, puis l’Océanie et les deux Amériques !

Les voyages forment la jeunesse dit le dicton. Le jeune sapiens va en faire l’expérience. En 60 000 ans donc, il va conquérir la planète, prouvant que les grands espaces ne sont pas faits pour l’effrayer.

Quand il sera allé partout sur le globe il va lorgner la lune, Mars et l’Univers se demandant s’il ne serait pas possible d’aller les coloniser. Mais c’est une autre histoire, qui fait rêver Elon Musk, et que je n’aborderai pas, non plus, ici.

Mais essayons de réfléchir un instant. Qu’est-ce qui pousse l’espèce humaine à quitter son milieu originel où il faisait chaud, où la nourriture et l’eau étaient abondantes et auquel il était aussi bien adapté que les autres grands primates ?

Nous avons, sur cette carte (qui était presque la même, à la toute fin du Paléolithique, il y a 12 000 ans) les principales zones climatiques de la planète (Fig.5)

L’homme va donc quitter l’Afrique tropicale. Pourquoi a-t-il eu envie de descendre des arbres, de quitter la forêt et aborder la zone subtropicale (en jaune), qui à l’époque, était une savane, pas aussi sèche et aride qu’aujourd’hui ?

Pourquoi continuera-t-il vers les zones méditerranéennes et tempérées, puis les grandes plaines jusqu’aux steppes nordiques pour rencontrer le froid et la famine ?

Cela semble complètement stupide.

 Contrairement à Ulysse qui, heureux après un long voyage, est retourné, à Ithaque, l’homme ne retournera pas dans cette zone tropico-équatoriale, qui ne sera jamais à l’origine des grandes civilisations humaines qui apparaîtront bientôt, vers 6000 ans avant notre ère. Cela interroge ! C’est ce que nous allons essayer de comprendre à présent.

On peut distinguer, à l’époque, quatre grandes sortes de climat qui sont, en partant de la zone équatoriale et en remontant vers le nord :

  • La zone tropicale (en vert), où est apparu le genre Homo, caractérisée par de fortes chaleurs une humidité constante où les ressources alimentaires sont abondantes, avons-nous déjà dit. L’homme y trouvait des feuilles et des racines comestibles, beaucoup de fruits et au hasard de ses découvertes de la viande souvent tuée par les grands félins et dont il recueillait les restes. Il pouvait, bien sûr, tuer lui-même des singes, des rongeurs et des petits herbivores. Ce paradis terrestre, où il fait bon vivre, a cependant un gros défaut : les épidémies ! La température élevée favorise le développement des micro-organismes pathogènes.

Le principal ennemi n’est pas le tigre mais le moustique ! Le paludisme, la fièvre jaune, la dengue ou encore le Chikungunia font des ravages considérables. L’homme du paléolithique n’avait pas la pharmacopée lui permettant de combattre ces fléaux. Il faudra attendre les 19° et 20° siècles de notre ère, pour que la médecine puisse s’attaquer et faire obstacle aux grandes épidémies.

  • La zone subtropicale (en jaune) : Au Paléolithique, on est toujours dans un environnement chaud et humide. Ni le Sahara ni la péninsule arabique ne sont encore des déserts mais de vastes savanes arborées sillonnées de populations nomades. Nous verrons bientôt que c’est dans ces zones que vont apparaître bientôt l’agriculture et l’élevage. Bien sûr, la chaleur favorise encore de nombreuses maladies, mais comme les saisons sont marquées, des températures inférieures à 13°, l’hiver, sont fatales aux moustiques !

La zone subtropicale va être la condition nécessaire au développement des premières civilisations.

  • La zone tempérée (en orange): C’est la zone que nous connaissons bien avec des climats doux, souvent méditerranéens. Les ressources sont abondantes, les épidémies moins fréquentes, la sédentarisation due à l’agriculture et l’élevage va devenir la règle.
  • La zone froide et sèche (en bleu): les ressources alimentaires se raréfient, le mode de vie nomade est indispensable pour chasser des grands herbivores, ou, bientôt,  trouver des pâturages pour les troupeaux domestiqués. Si les risques épidémiques ont disparu, la famine va devenir une menace constante.

Ainsi le décor est planté. A deux reprises les hommes (erectus puis sapiens) ont quitté le paradis tropical.  J’imagine à présent les épreuves qu’ils ont dû affronter. L’humanisation se fait à ce prix. Le stress environnemental va nécessiter de gros efforts pour trouver des solutions à tous les problèmes. Je me représente erectus, Néandertal et sapiens dans la steppe arctique avec le froid, la chasse aux aurochs ou aux bisons, au détour d’un gué, leurs huttes couvertes de peaux de bêtes tendues entre des pieux ou des ossements de mammouths… J’ai comme un album photo dans la tête, tellement certaines images me sont devenues familières (fig.6). Ce sont des clichés : les paléolithiques ne vivent que dans la tourmente et le blizzard et Je ne les imagine jamais sur une plage de Grèce, qu’ils ont pourtant connue…

Je voudrais que l’émission de télévision « Voyage en terres inconnues » puisse s’effectuer aussi dans le temps : pouvoir observer une tribu de néandertaliens vivant en Israël ou au bord du Rhône, les écouter parler, les voir pêcher le saumon ou l’anguille…Je ne vais pas vous décrire, une fois de plus, comment l’homme préhistorique organise son espace domestique, ses terrains de chasse, de pêche, comment il va partir à la rencontre des autres tribus pour échange des outils, des bijoux, pratiquer des cérémonies chamaniques, chercher des conjoints afin de renouveler le patrimoine génétique. Je l’ai fait pendant des années.

La figure 7 montre les fluctuations de température du globe depuis 15 000 ans. Nous sommes à l’Holocène qui est la dernière période géologique dans laquelle nous vivons toujours (Les géologues n’ont pas encore accepté le concept de l’Anthropocène, devenu courant dans les médias…).

Si la dernière glaciation a été maximale il y a 22 000 ans (avant l’époque de Lascaux) la température s’est mise à remonter régulièrement, les glaces qui recouvraient tout le nord de l’Europe se sont mises à fondre et libérer la vapeur d’eau et le gaz carbonique qu’elles contenaient ce qui a accéléré le réchauffement. Le niveau de la mer remonte de 120 mètres. Cette hausse des températures a d’abord créé de meilleures conditions de chaleur et d’humidité. C’est un nouveau stress climato-environnemental qui a touché l’ensemble de la planète, aboutissant à un climat chaud et humide.  Le Sahara qui était boisé, abritant de nombreux lacs, s’est asséché à partir de 6 000 ans, pour se transformer en désert. Nous voyons ensuite les périodes les plus chaudes (en rose) qui correspondent au néolithique, aux civilisations antiques, à l’époque médiévale et à l’époque actuelle.

Ces quatre cartes (fig. 8) montrent le réchauffement respectivement à -21 000, -11 000, -8 000 et -4 000 ans. Les paysages arctiques laissent peu à peu la place à des steppes arborées, des forêts tempérées et une végétation méditerranéenne. Tout cela en 20 000 ans, c’est extrêmement rapide à l’échelon géologique.

Comment cette révolution climatique va-t-elle agir sur le destin de l’espèce humaine ? Je vais, à présent, m’appuyer sur les travaux de VincentBoqueho, docteur en astrophysique, qui s’intéresse également à l’histoire humaine. Il est rédacteur à la revue historique numérique « Hérodote ». J’ai découvert cette année son livre « Les civilisations à l’épreuve du climat ». Il montre que les sociétés primitives humaines ne sont poussées au progrès que lorsqu’elles sont aiguillonnées par des stress environnementaux, dont la crainte des famines ou des épidémies.  C’est pour cela que l’homme a quitté les zones tropicales car le climat chaud et humide favorise la multiplication des micro-organismes et la propagation des maladies, notamment par le biais des moustiques. C’est encore aujourd’hui l’une des principales causes de mortalité des humains. A l’inverse, il faut un minimum de pluies pour que la flore et la faune puissent se développer et éviter les famines. Les sociétés humaines ne peuvent pas s’établir longtemps dans des régions trop sèches et arides.

Sur ces bases évidentes, l’auteur définit trois facteurs climatiques permettant le développement harmonieux des sociétés humaines ! (Fig.9) :

  • Une quantité annuelle de précipitations suffisante permettant la naissance de l’agriculture : 500 mm de pluie par an au minimum,
  • Des températures hivernales assez faibles, au moins inférieures à 13°C, pour prévenir les épidémies et entraîner la disparition des moustiques,
  • Un rapport des précipitations entre saison humide et saison sèche suffisant, supérieur à 12, pour éviter les famines. C’est ce qu’il appelle la variabilité climatique.

 Cette variabilité est très étendue par le monde, elle est élevée en Afrique tropicale : de 180 au Sénégal !
Vincent Boqueho recherche donc, sur la carte du monde, les zones pouvant répondre à ces trois conditions et trouve une dizaine de lieux qu’il appelle les foyers climatiques, en rouge sur cette carte. Bien entendu, Ils se trouvent tous dans les zones subtropicales. (Fig.10

Ces foyers climatiques sont les lieux à partir desquels vont se développer les premières civilisations : occidentales, Sabéenne, Indus, Indienne, Chinoise, mésoaméricaine et Ando-Pacifique.

Remarquons également que ce sont les lieux où poussent des graminées sauvages que l’homme du néolithique va pouvoir domestiquer : le blé, l’orge, le maïs, le millet, le riz et une tubercule, la pomme de terre. D’autres plantes seront ensuite domestiquées, le sorgho par exemple en Afrique.

Vincent Boqueho étudie ensuite longuement les conditions écologiques dans ces foyers climatiques et les caractéristiques des civilisations qui en découlent. Je ne me cantonnerai ici qu’à la civilisation occidentale qui nous concerne en premier chef, née dans le croissant fertile du Proche Orient et qui va se propager vers l’ouest (flèche rouge) pour occuper toute l’Europe.
C’est au Proche Orient que s’est faite la première révolution néolithique. C’est également celle qui a été la plus étudiée. Cette région est bordée de zones arides au sud et à l’est de la Méditerranée et de l’Anatolie à l’ouest. (Fig.11)

On y trouve deux foyers climatiques :  à l’ouest la Palestine et à l’Est, les monts Zagros. On appelle l’arc symbolique qui les relie : Le croissant fertile (ligne jaune). Ce croissant se distingue par des précipitations annuelles supérieures à 500mm. Les foyers d’innovation potentiels se trouvent aux deux extrémités de l’arc. Ils ne sont pas très éloignés l’un de l’autre mais le désert de Syrie les sépare. La liaison, dès le Néolithique, se fait en empruntant la route du croissant fertile, ce que prouvent les découvertes archéologiques.

L’optimum climatique a connu une forte variabilité avec des périodes plus humides et fraiches et des épisodes hyper arides et même un refroidissement vers 8 200, avant le présent, qui constituèrent les stress climatiques et provoquèrent des mouvements de population vers l’Anatolie et la Grèce.

Alors, qu’ils avaient été nomades pendant des centaines de milliers d’années, au Paléolithique, les hommes arrivés dans le Moyen Orient, éprouvent l’envie de se fixer, de se sédentariser, bien avant même d’inventer l’agriculture !

 Ils vivent toujours de cueillette de céréales sauvages, de glands et de légumineuses.  Ils continuent à pratiquer la chasse. L’animal dominant est la gazelle, tuée grâce à des outils microlithiques qui ont peu évolué.

Ils se regroupent en villages dans des huttes rondes dont la base, semi enterrée, est en pierres sèches et les murs en torchis comme à atal Huyuk. L’espace intérieur des maisons est structuré avec des banquettes, des murets, des silos… Souvent un ou deux foyers en occupent le centre (Fig.12). Puis, les villages vont grossir et se structurer : les maisons deviennent souvent rectangulaires, en briques crues, le sol est parfois pavé ou dallé. L’accès se fait par le toit, ce qui assure la protection contre les prédateurs, puis, petit à petit par des portes donnant sur des ébauches de rues. Le centre du village comprend un bâtiment plus important que l’on qualifie de communautaire. On trouve ainsi, à Jéricho le premier bâtiment collectif datant d’environ -10 000 ans avant notre ère : une tour en pierres sèches de 10m de diamètre et 8,5m de hauteur avec un escalier intérieur. Un temple monumental est édifié à Göbleki-Tepe en Anatolie datant d’au moins 9 000 ans avant notre ère.  Au sommet d’une colline, se trouvent des structures circulaires, au sol pavé, contenant des piliers en T richement ornés. Les sculptures représentent des sangliers, des renards, des tortues, des oies et des symboles phalliques. Jacques Cauvin y voit un début de religiosité qui se déploiera en Mésopotamie…

 A l’animisme du paléolithique succède un polythéisme qui déjà annonce les religions de l’Antiquité.

Les premières traces de domestication du blé sont trouvées au nord du croissant fertile, dans les monts Taurus. Cette domestication a joué un grand rôle dans la néolithisation. En effet on sait que les graines de ces végétaux sont riches en éléments nutritifs (Fig.13).  Les graines sont regroupées en épis lors de la croissance, attachées par un nœud qui se brise à maturité leur permettant d’être disséminées par le vent, de tomber sur le sol et germer. C’était le cas de 90% du blé connu il y a 10 000 ans. Parfois, les nœuds étaient rigides et solides empêchant l’envol des graines mais favorisant la récolte des épis.  Il fallait que le moissonneur ramasse et batte les épis pour récupérer la grande majorité des graines. C’est pourquoi ce sont ces variétés qui ont été conservées et re-semées chaque année.

 On pourrait penser que l’idée de récolter pour semer l’année suivante s’est concrétisée rapidement. En fait cela a dû être très longs avec des essais multiples et des échecs. L’étude des sols néolithiques montre que l’association des graminées et des légumineuses (la lentille, le pois) s’est avérée intéressante, préludant les pratiques d’assolement que nous connaissons aujourd’hui.

D’autres graminées seront à leur tour exploitées en Eurasie et en Afrique, en fonction des conditions climatiques et environnementales, ce sont l’orge, le millet, le riz, le sorgho.

Si dans les céréales l’homme conservait les graines pour son alimentation, il donnait tout le reste aux troupeaux dont la rumination permettait de digérer la cellulose contenue dans la paille, les tiges, les feuilles.

Car le Taurus est aussi la région où se trouvent, à l’état sauvage, des espèces de mammifères herbivores, (aurochs, chèvres, mouflons, porcs). Seules un petit nombre d’espèces a pu être domestiquées de façon durable. Ces animaux n’auraient pas pu être domestiqués en dehors de leur aire d’origine (Fig.14).

Ces espèces du Proche Orient ne sont pas forcément les mêmes que celles trouvées au nord de l’Europe (ainsi l’auroch local est beaucoup plus petit, à peine plus grand que les bœufs actuels). Leur domestication va être possible et commence vers 8 700 ans avant notre ère, l’homme favorisant leur protection contre les prédateurs et leurs transhumances vers des zones à pâturer. L’élevage va se propager vers les monts Zagros vers -7 500 ans puis de proche en proche vers la Caspienne, la Palestine, l’Anatolie vers -7 000 ans. Du fait de l’élevage, les animaux s’habituent à des conditions climatiques et des environnements différents de ceux où ils vivaient en liberté. Ce qui prouve l’efficacité des techniques d’élevage. Comme ils ne se reproduisent qu’entre eux, la modification du patrimoine génétique va s’opérer rapidement, le choix des éleveurs remplaçant la sélection naturelle par des croisements choisis pour bénéficier d’une meilleure productivité de lait et de viande. Cette domestication entraînera également une modification du dimorphisme sexuel et la diminution de la taille des animaux.

Peu à peu, la chasse qui restait primordiale au début du Néolithique va laisser la place à la boucherie d’élevage. Contrairement au chasseur du Paléolithique, qui tentait, par des cérémonies, de se réconcilier avec sa future victime, la mise à mort de l’animal d’élevage va devenir un sacrifice ritualisé nécessaire à la perpétuation de l’ordre du monde. L’homme se considérera, à présent, comme supérieur à la nature mise à sa disposition… D’autres animaux vont venir partager les bienfaits de la présence humaine, les petits rongeurs (rats et souris) attirés par les réserves de graines puis les chats attirés par les souris… Ce petit félin qui deviendra le compagnon apprécié de l’homme, gardera, cependant, toujours l’indépendance de sa vie sauvage solitaire. Le chien lui, a une autre histoire puisque c’est au Mésolithique, (peut-être même dès le Gravettien) que l’homme a capturé des louveteaux qui l’ont immédiatement accompagné et aidé à la chasse. Très sociable, le chien a trouvé dans ses nouveaux maîtres des substituts à ses compagnons de meute sans laquelle il ne pouvait vivre. On peut penser qu’au Néolithique l’élevage des troupeaux lui a donné une nouvelle fonction, celle de chien de berger !
Les monts Taurus et le croissant fertile vont donc être le lieu du démarrage de l’agriculture qui va s’étendre tout le long du croissant fertile (Fig.15)

Les nouveaux foyers d’innovation, que sont la Palestine et les monts Zagros, sont assez proches de trois grands fleuves : le Nil, le Tigre et l’Euphrate. Ces fleuves apportent aux régions qu’ils arrosent les alluvions pour fertiliser les terres et l’eau douce pour les irriguer. L’agriculture y trouvait des conditions idéales.  Il est donc naturel que les premières civilisations se soient développé le long de leurs rives. En Mésopotamie, la découverte des techniques d’irrigation a été nécessaire pour canaliser l’eau des fleuves. Elle fut mise en place vers 6 000 ans avant notre ère, entraînant une augmentation démographique considérable avec des gros bourgs puis les premières villes. C’est le début de la civilisation sumérienne qui est entrée dans l’histoire créant la première écriture. À l’autre extrémité du croissant fertile, la Palestine est proche de l’Egypte et de son fleuve, le Nil. Là, les célèbres crues du fleuve n’ont pas nécessité la mise en place d’un système d’irrigation compliqué. Chaque année, la venue de la crue du Nil venant inonder les terres cultivables avec une régularité remarquable.

Je vous avais montré, l’année passée, comment le passage du Paléolithique au Néolithique avait modifié la conception du temps qu’avait Homo sapiens (Fig.16).

Au paléolithique l’homme élaborait des calendriers lunaires car toutes ses activités étaient conditionnées plus ou moins par les phases lunaires. Chasseur, il savait que le gibier était plus facilement rencontré à la nouvelle lune quand la nuit est la plus sombre, que les poissons migrateurs (saumons, anguilles…) ne se pêchent pas à la pleine lune. Au Néolithique, par-contre, l’économie de culture et d’élevage allait modifier les besoins de repères temporels. L’homme préhistorique devait tenir compte d’une année qui respecte les saisons, les variations climatologiques, et permet de prévoir les périodes de semis, de plantations, de repiquages, de récoltes des végétaux qu’il va cultiver. De même la gestion du bétail nécessitait de prévoir les périodes de rut, de mise-bas des petits, de migration vers les pâturages, de sacrifice de certains animaux pour assurer les réserves de périodes hivernales… Il allait alors devoir élaborer des calendriers solaires indiquant les dates des saisons. Des structures en bois ou en pierres vont être établies comme repères le long de l’horizon permettant de noter les observations.

 Une autre conséquence de la révolution néolithique est un allongement considérable de la journée de travail du fait des contraintes de la journée agricole… et c’est toujours d’actualité ! Si son mode de vie change, les idées évoluent au même rythme que la technique. Vous vous souvenez peut-être que ces régions issues du croissant fertile sont à l’origine du monothéisme qui va marquer si profondément notre histoire avec le zoroastrisme en Mésopotamie, le bref culte d’Akhénaton en Egypte, le judaïsme en Palestine …

Les premières grandes civilisations historiques se sont développées à partir du Proche Orient. Elles ne restèrent pas cantonnées à proximité de ces zones primitives. Elles s’étendirent vers l’ouest, longeant la Méditerranée. La colonisation de l’Europe s’est faite entre 6 500 à 4 500 ans environ (Fig.17).

Des carottages dans les sédiments des lacs, des fleuves et des marais montrent que l’arrivée des néolithiques dans de nouvelles régions coïncide avec des stress climatiques. En fait, la migration vers l’ouest de l’Europe s’est faite suivant deux itinéraires (Fig.18). Au nord du Danube, les populations se dirigèrent vers la Belgique, défrichant la forêt tempérée pour implanter leurs cultures. Elles vivaient dans de grandes maisons à cinq rangées de poteaux d’une trentaine de mètres de longueur. Cette civilisation est dite rubanée du fait du décor de leurs poteries. Au bord des cours d’eau et des lacs ces maisons étaient élevées sur pilotis afin d’éviter les inondations. Un autre courant dirigé vers le sud du Danube a longé les côtes de la Méditerranée, construisant des petites habitations en pierres sèches. Ce sont les civilisations cardiales, leurs poteries étant décorées par impressions de coquilles du mollusque cardium

Les premières communautés ne dépassèrent jamais 100 à 200 individus par village, se divisant lorsque le seuil était atteint et une partie de la population reprenait sa marche vers l’ouest. Peu à peu, toute l’Europe va être occupée, les civilisations s’adaptant aux différences climatiques. Les sociétés historiques, après l’apparition de l’écriture vont évoluer de la même façon avec des sociétés inégalitaires, où la spécialisation entre paysans, artisans, commerçants, soldats aboutit à la création de classes sociales et la naissance de l’Etat.

L’invention de l’écriture était indispensable pour gérer ces sociétés de plus en plus complexes qui ont toutes créé une bureaucratie indispensable pour contrôler les biens et les peuples. Elle a fait basculer la préhistoire vers l’Histoire.

Nous savons que la Mésopotamie a été une zone où l’apparition de l’écriture s’est faite vers 3000 ans avant notre ère. De nombreuses plaquettes en argiles montrent des signes cunéiformes qu’il n’a pas été facile de déchiffrer.

La Mésopotamie a été le foyer climatique que nous avons décrit. Mais souvenons-nous que d’autres foyers climatiques étaient apparus au même moment dans cette ceinture subtropicales rappelés sur la carte (Fig.19), et qui vont donner naissance à de grandes civilisations : Saba, Indus, Inde, Chine, Méso-américaine, Andes-Pacifique. Nous n’avons pas le temps de les décrire. Comme par hasard ces foyers climatiques ont été également les zones où est apparue l’écriture à peu près partout à la même époque.

On a longtemps pensé que l’écriture avait migré de la Mésopotamie vers l’Egypte, l’Indus, La Chine… Des études récentes, depuis une vingtaine d’années prouvent le contraire. Il n’existe aucun lien qui relie les idéogrammes, les caractères graphiques, les syllabes, les structures grammaticales qui caractérisent les différentes écritures. Certaines, que l’on n’a pas déchiffrées, correspondent même à des langues encore inconnues…

Retenons juste que les foyers climatiques ont été les foyers des civilisations et ceux de l’écriture.

Pendant des siècles les civilisations se sont développées indépendamment les unes des autres, puis se sont rencontrées et ont réalisé des échanges commerciaux. Souvent hélas elles se sont combattues. Cette période entre préhistoire et histoire a engendré un développement de la violence et des inégalités dues à la possession des biens matériels, qu’il fallait défendre face à ceux qui en étaient démunis. La propriété engendre la violence.  Jean-Jacques Rousseau écrivait : « que de souffrances on aurait épargné au genre humain si on avait dit, dès le départ, que les fruits sont à tout le monde et la terre à personne ».  Les guerres, individuelles, locales, se sont vite étendues aux états.

L’augmentation de la population ne pouvait qu’accroître les sources de conflits et le progrès des armements structurait les actes guerriers : l’art rupestre du Levant Espagnol montre ainsi des scènes de rencontres armées opposant des groupes d’archers… (Fig.20).

Depuis, la population n’a cessé de croître. On en est à 8 milliards aujourd’hui. Les démographes prévoient un maximum possible de 11 milliards de personnes dans quelques dizaines d’années, avant de régresser face à une pénurie de ressources, au développement des épidémies, à l’augmentation de la violence, une baisse de la fécondité… J’en passe et des meilleures !

Mais on sait que la prévision est un exercice périlleux et aléatoire, surtout lorsqu’il s’agit d’avenir !

Alain Lambrechts

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